Bouleversée,
comme tout le monde.
Choquée,
à ne pas en croire ses yeux.
En
allumant la télévision avant-hier, mon cœur s’est serré. Je n’avais pas encore
entendu un mot mais le visage d’Ali Badou, son expression, ses traits et
quelque chose de l’ordre d’une urgence dans le regard sont allé droit à mon
cerveau. Ma respiration a connu un moment de suspens quand une gravité nous
submerge, où le souffle est coupé, où l’on a du mal à aller au bout de sa
respiration. Quand on comprend que quelque chose s’est passé.
Les
mots ensuite sont venus à mes oreilles, et avec eux, la compréhension
indistincte et l’émotion, immédiate, entière, brûlante.
Les larmes qui montent
aux yeux. La sidération. Un frémissement comme un air froid qui passe dans le
dos et qui me glace.
Le temps d’osciller entre laisser éclater un sanglot, vite rattrapé par une morale judéo chrétienne à la con qui choisit toujours le principe austère de la « dignité » selon ses critères… j’écoute, je regarde, je suis déjà meurtrie sans comprendre pourquoi cet événement me touche au cœur.
L’heure est grave, on peut le sentir
à travers l’écran.
Mais la
télé est en second plan : entre elle et moi il y a ma fille, mon bébé, dans
son transat. Elle me fixe de ses yeux bleus. Mon regard défocalise et rejoins
le sien. Comme toujours quand on se regarde, elle éclate d’un sourire géant dont
elle seule a le secret et ma gorge se noue.
Le
choc des civilisations dont parlent certains s’incarne dans le choc immense que je
ressens entre la pureté et l’innocence et la barbarie et l'ultra-violence qui s’expriment
sous mes yeux.
Mais
ce n’est pas que ça, non. Pas que la violence. C’est ce qui est dit, ce qui n’est
pas dit, ce qui est revendiqué, ceux qui ont été choisis, visés, anéantis. C’est
ce qu’on devine, à notre échelle, de l’énormité de ce qui se joue, au-delà de
notre compréhension. C’est l’absurdité.
L’absurdité.
L’absurdité totale. L’absurdité profonde. La folie. Le manque de sens. Le chaos.
Et
soudain, pour la première fois, le sentiment d’égoïsme d’avoir eu un enfant.
Avant
j’entendais certains avoir des discussions autour de ça, et je ne comprenais
pas vraiment ceux qui disaient ça. Egoïste d’avoir un enfant ? Comme je ne
pensais pas qu’avoir un enfant apportait du bonheur, je ne voyais pas trop en
quoi cela pouvait être égoïste.
Et
soudain, devant l’horreur et mon petit bout d’amour sur pattes, je me sens
honteuse. Inquiète. Egoïste. Egoïste de recevoir tant de bonheur grâce à elle
et de savoir que par « ma faute » (oui, oui, faut sans doute que j’en
parle à mon psy, CQFD), ma fille vivra des moments de désespoir, de désœuvrement,
de questionnement sans réponse face à l’absurdité du monde et des hommes.
Merde
alors, pas moyen de l’éviter : c’est sûr, elle souffrira. Certes, mais ce
qui me tourmente ce n’est pas qu’elle puisse être triste, connaitre des moments de peine constructive, mais qu’elle puisse
se questionner à ma façon, se désespérer comme moi, et perdre la foi en l’homme. Parce que moi je suis à
bout, à bout d’espoir, à bout de recours mentaux pour me convaincre que « ça
va aller », à bout de sensibilité heurtée, froissée et mise à mal chaque
jours par des faits divers sordides, les guerres qui n’ont plus de sens que
pour les affaires de politiques internationales, les horreurs commises au nom
du profit, les hypocrites, les menteurs, l’injustice.
Ma
fille saura-t-elle mieux le vivre que moi ? Quelles armes puis-je lui
donner quand moi je me sens si écrasée par le poids de l’absurdité du monde, du
manque de sens qui semble être la norme, comme une épidémie de connerie, de
bêtise, de nullité générale. La réponse est l’éducation, bien sûr, seule conclusion systématique aux discussions, aux reportages et autres analyses… mais cela ne suffit pas à éviter de parfois sombrer dans une profonde déroute mentale. Quand l’esprit se heurte à l’impossibilité de comprendre rationnellement ce qui arrive. Car Charlie nous mobilise mais ce que nous avons vécu est le quotidien de nombreux peuples. Ca aussi ça me désespère. On devrait tous les jours dire Je suis la Palestine, Je suis Israel, Je suis la Syrie, Je suis les femmes violées et se mobiliser pour tous ces peuples. contre ces violences. Il est là l'écrasement: c'est tous les jours, et partout, ou presque. A se demander comment continuer à vivre tranquillement quand il se passe de telles atrocités.
A
un point que je n’imaginais pas.
Plus
de repères, plus de raison de vivre, presque. #existentialisme
Je
pense à une de mes histoires préférées, le mythe de la boîte de Pandore. Quand
j’étais petite, j’avais une cassette qui le racontait et un album dont je
revois les illustrations. J’adorais cette histoire. Je me souviens des
bruitages de cette cassette quand Pandore ouvre la boîte, en libérant tous les
maux de l’humanité, représentés par des animaux sombres et des insectes sur l’album,
accompagnés de bourdonnements intenses qui faisaient un peu peur sur la
cassette. Je ressens toujours l’émotion qui m’a ensuite étreinte quand j’ai vu
l’image du petit papillon blanc représentant l’Espérance restée dans la boîte, et compris abstraitement la morale de l’histoire puisqu'encore récemment il me semblait qu'elle portait un message d'espoir. (En réalité, les interprétations sont plurielles avec parfois l'idée que Zeus ne laissa même pas l'Espérance aux hommes pour s'en sortir mais aussi que l'espérance est elle aussi une calamité au même titre que ce qui est sorti de la boîte...).
Mais bref... De
nombreuses copines mamans et/ou blogueuses comme Babidji ou Papa Panique ont soulevé la question de comment
parler/expliquer les événements à leurs enfants… J’ai d’ailleurs posté des
articles à ce sujet sur la page du blog, si ça peut aider. Comme Mathilde de LaVie en Blonde, je suis vaguement soulagée de ne pas
avoir a expliquer les choses avec des mots et que mon bébé soit pour l’instant
dans la bienheureuse inconscience des atrocités qui se sont jouées et des
scènes de violence qui continuent de se jouer en ce moment même. Mais et plus
tard ? Un jour il me faudra moi aussi répondre à des questions qui ne
devraient même pas m’être posées.
Et
puis j’ai vu que d’autres ont posté de jolies photos de leurs bébé comme
Poulette sur sa page FB, et ont reçu des « Merci pour cette image réconfortante » en
commentaire, sur FB. Comme si le visage angélique d’un enfant endormi était le
seul refuge émotionnel, la meilleure arme contre la déprime, le seul remède,
même.
Et c'est sans doute vrai. Parce qu’en même temps, ce sourire immense qu’elle me
tend et qui fait monter mes larmes contient à la fois toutes les raisons de se
désespérer de la noirceur du monde face une telle promesse de bonheur, mais à
la fois, toutes les raisons de vivre, de croire en l’avenir et en l’humanité. Merci
ma fille. Mon bébé. Mon papillon blanc. Mon espérance.
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